Jordan Corridor

L’eau est une ressource précieuse. Le climat jordanien est dit désertique.
Le pays consomme deux fois la quantité d’eau disponible en une année. Planter des arbres selon certaines règles contribue à protéger cesfaibles réserves.
Le projet Green Corridor jordanien a été lancé en 2012. Il consiste à planter en Jordanie des espèces capables d’agir sur la stabilisation des nappes phréatiques, sur les sols, sur les modèles de culture existants et, ainsi, sur les populations.
C’est en m’intéressant à ce projet que j’ai commencé à comprendre la problématique générale que suppose la pénurie d’eau dans les régions désertiques. C’est un enjeu global qui concerne avant tout les hommes, l’environnement, mais aussi la géopolique, la géostratégie et des enjeux économiques locaux et internationaux.
Ce jeu d’échelle dans le temps et dans l’espace interroge la place de l’individu dans cet environnement, ce que nous sommes maintenant et ce que nous supposons être demain.
Ces photographies sont une réflexion particulière sur l’état du paysage jordanien aujourd’hui, et sur ce qu’il pourrait être demain ; c’est un point de vue, un prétexte pour commencer à réfléchir plus globalement sur le Monde.

Le climat jordanien est semi-aride. On compte entre 15 et 300mm de précipitations annuelles moyennes suivant les zones. Il existe un régime saisonnier, mais les faibles pluies et les étés très chauds favorisent l’évapotranspiration, les eaux de surface ne sont pas toujours pérennes: le taux de rechargement des ressources hydrauliques est très bas.


60% des ressources en eau disponibles proviennent d’aquifères. Ce sont des réservoirs souterrains naturels. Les deux principaux sont Disi, au sud, à cheval sur la frontière saoudienne, et Azraq, au nord (sur la photo).
Azraq était encore il y a peu une oasis avec une faune et une flore singulière. Aujourd’hui protégée, l’oasis est à sec. C’est le réservoir principal d’alimentation d’Amman, et les exploitations agricoles locales consomment énormément d’eau pour faire pousser des pastèques et des olives en plein désert.

Les eaux de surfaces sont une autre ressource.
Elles sont aussi un enjeu géopolitique important et visible. Le Jourdain est la frontière ouest de la Jordanie avec Israël. Le contrôle des eaux, le captage furent des points importants dans les négociations lors de la signature du traité de paix après la guerre des Six Jours.
Aujourd’hui on peut presque enjamber le Jourdain, en aval l’agriculture du Nord, de part et d’autre de la frontière, réclame beaucoup d’eau.

La question de l’eau est centrale au nord-ouest. Le lac de Tibériade est sur le territoire israélien. La régulation des eaux, ainsi que celles du Yarmouk qui délimitent la frontière Nord avec le Liban et le Golan occupés, appartient à l’autorité israélienne.
L’eau ici est un enjeu, une limite, une frontière.
Cette année, la Jordanie passera l’été avec un million de réfugiés syriens résident dans des camps installés dans le nord. La pression de l’eau pèse de tout son poids sur les populations, et la problématique naturelle devient géopolitique.

Les wadis sont des vallées sculptées par l’eau. La plupart des wadis qui se jettent dans la mer morte sont aujourd’hui captés pour alimenter les besoins de l’agriculture locale. 3% du PIB aujourd’hui provient directement de l’agriculture ; 25% indirectement. Par rapport au volume d’eau consommé, les mines de potasses du sud de la mer morte et l’industrie en général représentent un bien meilleur retour sur économie, notamment en terme d’emploi. C’est un aspect peu développé de l’économie jordanienne traditionnellement agricole.

Le niveau de la mer morte s’abaisse d’environ un mètre par an. Avant le réchauffement climatique, la captation des eaux du Jourdain et des wadis (les vallées qui l’alimentent), sa situation la condamnait déjà. L’accélération exponentielle de la consommation en eau se ressent directement sur le paysage.
On condamne souvent les hôtels de luxe qui bordent le rivage au nord. Pourtant la plupart d’entre eux recyclent leurs eaux et veillent à une consommation raisonnée, encadrée par des normes strictes.

Les plages publiques qui les jouxtent sont une caricature de la non-sensibilisation des populations à l’enjeu environnemental. Le sac-poubelle devient un stigmate prégnant qui trahit la pratique quotidienne. Aucune politique d’éducation environnementale sérieuse n’est menée. Qu’il s’agisse de l’eau ou du recyclage des déchets.

Les arbres endémiques sont une ressource précieuse. Ils permettent la fixation des sols, le développement de canalisation capillaire pour les nappes souterraines. Les espèces telles que les pistachiers sont adaptés au climat et témoignent de la présence proche de l’eau qu’on ne voit pas.

Au débouché des Wadis, la tradition du bain se pratique encore, souvent en famille.

Wadi Mujib est une réserve naturelle. C’est un sanctuaire protégé de la faune et de la flore.
Juste avant de se jeter dans la mer morte, l’eau est captée et déviée pour les activités industrielles et agricoles locales.

Chaque palier marque la lente agonie de la mer morte.
Le partage du rivage alterne et se découpe en hôtels de luxe et en plages publiques dans les espaces laissés déserts, les familles d’Amman toute proche viennent passer les jeudis et vendredi soir en bord de mer et partagent un barbecue.

Le canal Red to Dead, imaginé dès 1903 et pour lequel la communauté internationale finance des études de faisabilité n’est pas encore d’actualité.
Il s’agirait de relier la mer Rouge à la mer Morte par un canal de 184 km et de se servir du dénivelé de 600m pour produire de l’électricité et de l’eau de mer dessalée.
Le chiffrage pharaonique de quatre milliards de dollars de l’opération rend peu probable l’avènement du projet.
En attendant, les usines de phosphates, rare ressource jordanienne, tournent à plein régime sur les rives du sud.

Le cycle de l’eau théorique imaginé en Jordanie est le suivant : pompage des eaux naturelles (Disi et Azraq) pour l’usage quotidien des grandes agglomérations, retraitement des eaux usées des grandes aires urbaines puis utilisation de celle-ci pour l’agriculture.
Mais ces ressources ne se situent sur leur lieu théorique de consommation. Le transport de l’eau et son traitement sont ici particulièrement complexes, en raison notamment des Non Revenue Water (NRW), l’eau perdue entre sa source et son lieu de consommation. En Jordanie il concerne 45% des eaux : la moitié sont perdues dans la détérioration du réseau, l’autre par le pompage sauvage.

Planter des espèces appropriées est parfois salvateur. Mais encore faut-il savoir quelles espèces sont adaptées. La Jordanie a importé de nombreuses variétés qui ne tiennent pas leur rôle : les pins par exemple ne fixent pas les sols, ils les rendent acides, et souffrent du climat inapproprié. Les eucalyptus, connus pour leur qualité drainante dans les zones marécageuses sont plantés à tour de bras au détriment des espèces endémiques plus adaptées.

Certaines espèces endémiques présentes dans des wadis asséchés à la belle saison fixent quant à elle les réserves. Leurs racines sont des canalisations naturelles qui aèrent les sols, les fixent. Ces espèces sont adaptées au climat, certaines d’entres-elles cumulent même des qualités sanitaires et sacrées, comme le miswak dont on tire des brosses à dents alternatives citées dans les hadiths.

Le Nord est le grenier de la Jordanie. Les exploitations agricoles profitent du climat plus clément et de l’accès facilité à l’eau (Yarmouk et Jourdain).
Les oranges, les dates, les bananes sont les productions principales. La structure agraire en revanche ne permet pas aux petits propriétaires de se lancer dans la production de végétaux à haut rendement dont le débouché n’est pas la consommation, mais la revente, par exemple, à l’industrie pharmaceutique. En dehors des grandes exploitations, les concessions sont seulement annuelles : elles ne fixent pas les populations et favorisent les productions extensives consommatrices en eau.

Près d’Aqaba, on plante sur la plage. C’est une culture raisonnée acclimatée qui fixe les sols et les populations.

La frontière de l’eau existe aussi dans les agglomérations : Amman Est/Amman Ouest en est la preuve.
Alors que les tanks fleurissent sur les toits de l’est et que les coupures sont nombreuses en période de sécheresse, les piscines ne désemplissent pas de l’été, quelle que soit la température à l’ouest.
C’est dans ce quartier huppé que va déboucher le pompage de l’aquifère du sud jordanien, Disi, dans un immense bassin destiné au stockage et la décantation de l’eau naturellement faiblement radioactive, avant sa consommation.

L’eau reste un attrait majeur du tourisme jordanien, depuis la mer Morte, jusqu’aux sources d’eaux chaudes ou les Wadi tout proches.
Il est une des clés du futur dispositif économique jordanien. L’instabilité de la région freine son développement. Juste en face de ces hôtels de luxe de la mer Morte, par temps clair on peut apercevoir Israël et la Cisjordanie.






L’usine Samra près de Zarqa est gérée par Suez Environnement. Elle traite en grande partie les eaux usées d’Amman et de Zarqa. L’eau traitée est rejetée dans un canal qui alimente la retenue de Burma près de Jerash à 50 km à l’ouest. Mélangée sur le trajet avec les eaux naturelles, elle devient propre à l’utilisation agricole.




La tradition des bains existait déjà en Jordanie pendant la période omeyyade.
Le Duc de Mukheibeh, Mamdouh Bisharat, s’est installé au nord et a reçu une concession de sources d’eaux chaudes. Il en a fait son paradis. Depuis il accueille des touristes et plante des arbres quotidiennement dans lar région.


Le paradoxe jordanien se trouve juste entre la tradition agricole, finalement peu adaptée aux réalités géographiques et sociales, et la perspective touristique, seule vraie ressource du pays aujourd’hui.
La Jordanie est un pays neuf assis sur des millénaires d’histoire. Les financements issus de l’aide internationale font du pays l’un des plus aidés au monde avec plus de 130 milliards de dollars alloués par l’aide internationale au développement en 2011.
À travers ce financement massif, c’est la position géostratégique du pays dans un contexte international explosif que l’on contrôle.

D’éventuelles émeutes de la soif, comme il arrive déjà sporadiquement, sont à craindre. La seule issue serait une rapide prise de conscience collective traduite immédiatement en des pratiques adaptées. Mais il faut réagir maintenant.
Cette urgence ne collant pas avec le volant inertiel de l’éducation, et plus généralement avec les préoccupations de la société, la question reste aujourd’hui sans réponse : est-il seulement possible d’inverser la tendance ?