Travaux Personnels (copie)
TEMPS PRÉSENT
Exposition So Far, So Close, Galerie Esther Woerdehoff, juin 2024
« L'être vivant, l'être qui respire, est le site où l'immersion atmosphérique se transforme en un maillage de lignes qui prolifèrent comme, dans la forge, le mouvement de pompe des soufflets convertit le minéral solide en métal fluide ; ou l'air gonfle les poumons du laboureur qui se transforment en sillons dans la terre ; ou le vent qui devient le sillage du voilier; ou la lumière du soleil qui se convertit en tiges et racines de plante. C'est dans cette transformation que réside la relation entre les lignes et l'atmosphère, une relation qui est, je crois, fondamentale à toute vie animée. »
Tim Ingold, Une brève histoire des lignes.
La photographie est par essence instantanée. Que se passe-t-il lorsqu'on l'ampute sciemment de sa fonction de figer le réel ? C'est ce que j'ai découvert en voulant scruter de près cette ligne d'horizon qui n'a de cesse de s'échapper, en tournant volontairement le dos aux paysages normands. C'est la mémoire du temps qui réside dans ses images. Elle s'installe tout au long de la journée, petit à petit, elle s'alite doucement en traversant la chambre photographique et recueille la somme de tout ce qui a existé.
Mais cette somme n'est lisible qu'en tant que telle, on ne peut plus lui dissocier les instants qui la composent. Comme nous ne sommes pas hypermnésiques, nous ne nous rappelons pas non plus tous les détails qui constituent notre journée. Pour ne pas sombrer dans la folie, nous nous souvenons des instants les plus marquants et d'une vague idée de l'ensemble de ceci et de tous les autres que nous avons déjà oubliés. De la même manière, photographier un même cadre du levier au coucher du soleil en une seule image, dépouillée de tout élément figuratif, en donnant à chaque instant la même importance, fini par lisser tous les détails. Un bateau au large, une éclaircie, des vagues presque redondantes, un nuage fécond, les 1800 nageurs du triathlon, une ondée, des gloires, un coucher de soleil merveilleux, le froid, tout sera effacé par le temps. Mais l'image finale aurait été différente si ces éléments n'avaient pas laissé leurs empreintes sur le film. Je ne prétends pas enregistrer une couleur somatique conforme aux éléments. Chaque photographie devient ainsi la mémoire unique du jour unique qui vient de s'achever.